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dimanche 17 mars 2013

Guide de survie à l'usage des (fausses) petites natures que nous sommes

Le Berghain, légende berlinoise pour clubbeurs

Pas besoin de redonder sur le Berghain. Que dire qui n’est pas déjà été énoncé mille fois auparavant ? Meilleur club du monde (« et sûrement de l’univers » vous déclareront, sur le ton entendu de la vérité générale, vos amis berlinois), temple dédié à la musique, ode de tôle et de métal ondulant aux sonorités de brutales vibes électroniques, Eglise de la Sainte Techno… Bref, le lieu déchaîne les passions et attise les fantasmes les plus fantasques. Bien entendu, en disciple disciplinée de Saint Thomas, vous ne croyez que ce que vous voyez, et avez donc rechigné à courber l’échine devant ce sanctuaire tout droit sorti de l’ère soviétique. Néanmoins, vous êtes venue, vous avez vu, et avouez-le : vous avez été vaincue. Telle une brebis égarée, vous vous êtes finalement prosternée devant la flagrance d’une révélation divine : le Berghain, ça déchire sa mère.

Cependant, et à moins d’être born and raised à Berlin, d’avoir donc le clubbing comme deuxième nature, le cœur accordé aux beats crachés par les murs d’enceints et une capacité d’endurance défiant les lois de la physique, pénétrer dans le Saint des Saints de la boîte de nuit peut requérir quelques ajustements personnels. Prenons un exemple. Disons que l’on vous a proposé un vrai « dimanche berlinois » : aller au Berghain, un dimanche (oui oui, répétons-le), à onze heures. Du matin. L’expérience, que vous pouvez qualifier de « quelque peu extrême » sans rougir ou craindre d’être traitée de topette (enfin… vous dîtes « extrême », le Berlinois de base dira « cool, j’avais rien prévu aujourd’hui ») mérite quelques précautions. Disons donc que vous acceptez. Voici un petit guide non exhaustif à perpétuellement compléter des bizarreries, drôleries et autres mots en –rie que vous pourrez rencontrer au Berghain.

Danseuse folle au Berghain
L'art de kiffer la vibe au Berghain
Petit aparté : il est, selon le point de vue, drôle (signe que vous vous habituez de mieux en mieux à la culture berlinoise) ou très alarmant (quant à l’état de votre santé mentale), qu’à aucun moment précédant le dimanche fatidique, votre cerveau ne vous ai confrontée à la véritable nature de cette entreprise. Et ce n’est que quand vous serez tirée du lit à 9h du matin que cette évidente question s’imposera enfin à votre réflexion : comment est-ce que vous lever le jour du Seigneur pour vous rendre dans ce panthéon décadent et être entourée de junkies ou de gros mecs sous testostérones (et autres), comment donc ceci a pu vous sembler être une bonne idée ?

La file d’attente

Aaah la sacrosainte file d’attente du Berghain… L’avantage de vous y rendre un dimanche midi, comme ne manquera pas de vous le rappeler votre hôte/boyfriend/whatever, c’est qu’il n’y a (habituellement) pas (trop) de queue (remarque à laquelle vous pouvez répondre par un regard soit émerveillé, soit désespéré, soit exaspéré, au choix). En temps « normal », comptez donc une bonne demi-heure d’attente à trembler de froid et de peur de vous voir refuser l’accès (se faire recaler après trente minutes de trime par -5 degrés… No comment). Car le Berghain n’a pas la réputation de laisser n’importe quelles ouailles fouler son asphalte.

Le Berghain sous acide
Le Berghain sous acide

L’entrée du club

Les clubs berlinois, au contraire de beaucoup des boites parisiennes dont la pédanterie n’est plus à prouver et appliquant des critères d’élection d’une injustice à la limite de la légalité, n’ont pas pour habitude de sélectionner leur clientèle ; en somme tout le monde est bienvenu, à moins d’être vraiment trop soul, vraiment trop raide, ou vraiment trop les deux. Exception faite du Berghain. Le lieu est en effet présumé opérer une sélection drastique à son entrée, acceptée par tous : on est le meilleur club de l’univers et de Navarre ou on ne l’est pas. Forcément, la première fois que vous avez arpenté la zone industrielle désaffectée vous conduisant à l’Olympe a été l’occasion de vous lancer dans une féroce diatribe, votre hôte/boyfriend/whatever tentant de justifier cette politique. Car si vous êtes de Paris, vous avez sûrement déjà eu l’opportunité de vous confronter à la bêtise crasse du genre humain « physio » (l’occasion de placer ce genre de délicatesse dans la conversation : « mais mec redescends sur terre, bordel : t’es physio ! Ce n’est même pas un vrai métier, c’est une démonstration de force pathétique. T’as des comptes à régler avec ta mère ? Ton papa t’aimait un peu trop ? T’es eunuque ? »). Alors merde, vous n’avez pas déménagé pour être soumise aux mêmes conneries, ha ça non merci hein ! Le flegme allemand prenant quasiment toujours le pas sur l’exaspération, votre hôte/boyfriend/whatever vous répondra simplement, dans un haussement d’épaules où se lira néanmoins une pointe d’énervement, que ce-n’est-pas-la-même-chose-maintenant-tu-te-tais-on-est-à-l’entrée-s’il-te-plait-bordel. Et il aura pleinement raison.

Flyer du Berghain. Ca donne le ton.
Tout d’abord, relativisons le caractère draconien de la sélection ; ce n’est pas le VIP Room, les Planches et autres trous où les fioritures du lieu en cachent mal la vacuité malodorante. En gros, vous n’allez pas vous faire recaler parce que : « désolé mec, mais ici on n’aime ni les noirs, ni les arabes, ni les jaunes, ni le reste ». Et bien que vous soyez généralement contre toute forme de sélection, vous devez néanmoins vous incliner devant la logique d’élection des Hell’s Angels du Berghain. Cette logique, vous ne pouvez rationnellement la décrire et l’expliquer – les voix des Seigneurs sont impénétrables – mais son caractère implacable ne la rend pas pour autant injuste, inéquitable ou discriminante. Preuve que ce dogme fonctionne, la légendaire atmosphère du club parle d’elle-même : everything is about love. Une technique imparable pour, tel l’Eternel, briser les Portes d’Airain (à part apprendre quelques rudiments d’allemand (parce que bon on est à Berlin, et qu’on n’aime toujours pas ces « dzalopeuries de tourisstes »), et ne pas se pointer à vingt-cinq)? Etre vous-même. Cela devrait vous plaire, particulièrement si le temps passé en Angleterre vous a donné pour habitude d’aller clubber en pyjama, ou si vous n’êtes pas fan des trois heures de préparation nécessaires pour espérer entrer dans un endroit décent sur Paname. Enfin, être vous-même ne fonctionne que si vous êtes, bien entendu, quelqu’un de cool ; si vous transpirez la tête de lard, ça ne marchera pas : les Cerbères berlinois ont un flair internationalement encensé pour humer le connard. Et c’est avec un peu de surprise et beaucoup d’amusement que vous verrez une bande de minettes plus pimpées que des Mercedes volées se faire recaler manu militari. Ce n’est pas à coup de talons défiant les lois de la relativité, de maquillage à la truelle, de jupes inexistantes et de regards aguicheurs, ou de pantalon à pince, pull Eden Park noué sur une chemise Ralph Lauren et une coupe de cheveu estampillée « Auteuil Neuilly Passy tel est notre ghetto » que cet imposant sanctuaire vous sera ouvert, bien au contraire. Ne sur jouez pas. D’une certaine façon, le Berghain, c’est un peu comme Mac Donald : « venez comme vous êtes ».

Les toilettes de la mort

Un conseil : si vous venez d’entrer dans le club (en d’autre termes : si vous êtes décemment sobre), et que vous vous demandez toujours ce que vous foutez dans un endroit pareil un dimanche à une heure de l’après-midi, fuyez les toilettes. Pour votre Salut. Le mieux serait sans aucun doute de ne jamais y mettre l’orteil, mais les lois de la biologie/physique-quantique/astronomie sont contre vous. Tout d’abord, il apparaît difficile de passer neuf heures sans devoir éventuellement se soulager (neuf heures, absolument : si vous accompagnez des Berlinois, n’espérez même pas quitter le Berghain avant. Et encore, neuf heures, c’est parce que vous aurez supplié, proposé une récompense en nature, menacé de faire un scandale (par exemple, de la rejouer « le mangeur de visage de L.A. » sur le DJ du Panorama Bar (la salle « topette » du Berghain, pour ceux qui ne connaîtraient pas) dont vous n’appréciez de toute façon pas la musique. En conclusion, on racontera sûrement qu’à l’instar de votre modèle, vous avez dû trop ingurgiter de substances illicites, « et voilà le résultat, ras le bol de ces dzalopeuries de tourissstes qui ne savent pas se tenir »), et fait semblant de vous évanouir (ou vous êtes vraiment évanouie. L’extase mystique ou l’alcool, on ne sait plus trop)). Ensuite, vous trouvez au paradis des clubs vous obligera à supporter une chaleur infernale ; vous allez devoir vous hydrater. Et puis bon, le Jäggermeister est à 5 euros.

L'entrée des toilettes?
L'entrée des toilettes? 
Donc, et ce malgré les efforts herculéens déployés par votre périnée, vous voici aux toilettes. Après avoir poirotée un temps incommensurable, ça y’est, la cabine d’en face s’ouvre enfin ; pour laisser sortir une bonne dizaine de personnes. Vous ne vous posez même pas de question (vous avez dépassé ce cape il y treize minutes), vous vous ruez à l’intérieur. Et là, c’est le drame. Si vous avez vu Trainspotting, figurez-vous la scène des toilettes/de l’opium : vous aurez une description assez exacte du spectacle qui s’offre à vos yeux. D’où la nécessité absolue (à ce stade, invoquer Emmanuel et son impératif catégorique ne vous apparaît même plus excessif) d’être résolument soûle quand vous devrez vous rendre aufs Klo. Car sinon, répétons-le, à vous le remake de la Divine Comédie et de la traversée des neufs cercles de l’Enfer. Vous aurez envie de vomir, mais vous vous retiendrez car la simple éventualité de devoir rapprocher votre visage du trou des chiottes ou du sol vous dégoûtera à un point encore plus extrême que le fait de devoir ravaler votre petit-déjeuner. N’espérez même pas trouver du papier non utilisé. Votre corps devra être capable des pires contorsions pour espérer ressortir immaculé de cette épreuve. Et votre situation (en plus de votre numéro d’équilibriste) vous donnera sûrement envie de pleurer (« mais qu’est-ce que je fous ici dans ces chiottes abominables, un dimanche matin ??? Dieu, Bouddha, Maman, je veux rentrer !! »). Contre le Mal, Dionysos demeure votre plus précieux allié : si par mésaventure vous deviez vous rendre aux toilettes, allez y plus soûle qu’un irlandais en fin de Saint Patrick. Votre vision trouble ne percevra pas l’horreur du décor, et votre bonhomie naturelle grandement alimentée par la liqueur ne s’émouvra même pas 
  1. d’éventuellement devoir récupérer votre portable dans le trou 
  2. de voir un mec s’enfoncer une bouteille dans l’anus au-dessus de l’évier où vous vous apprêtiez à boire ; ça vous fera rire, et vous vous extasierez même quelques secondes sur le spectacle (pas trop longtemps non plus car votre bon sens pourrait revenir au galop).

La galerie photo

Certes, on n’y entre a priori pas comme dans un musé, mais le Berghain s’avère être un endroit assez remarquable, et disons-le, beau. Après tout, vous avez minimalement neuf heures à y passer, admirez donc comme la tôle industrielle de la façade trouvent de nombreux contrastes dans la lumière tamisée, les fleurs ornant les comptoirs ou les moulures de certains murs. Appréciez le bar non-fumeur, son allure de marbre et sa balançoire géante. Traînez autour du Panorama Bar, écroulez-vous sur les commodités de la conversation dissimulées dans les nombreuses alcôves. Bref, avant de partir assurez-vous d’avoir bien visité le club dans son ensemble (à part les Darkrooms. Ou alors c’est en votre âme et conscience et vous ne pourrez-vous en prendre qu’à vous-même si ça tourne mal), et particulièrement les sorties de secours. L’escalier est en effet orné de photographies noir et blanc prise par très talentueux M. Marquardt, qui s’avère être également le « physio » du Berghain, dont le visage tatoué et le sens de la sélection ont contribué à construire la légende du club. 



Voilà pour aujourd’hui. Les anecdotes « très-drôles-sur-le-moment-mais-carrément-glauques-en-y-repensant » viendront plus tard, nous ne voudrions pas vous effrayer tout de suite. Le Berghain déploie un univers unique, où beauté et trash se mêlent jusqu’à se confondre. S’y perdre sans modération. 


Julie de la Team Frenchie- retrouvez moi aussi sur facebook !