Ces affiches au Slogan "Tard, mais jamais trop tard", visibles absolument partout sur les murs de Berlin cet été, sont l'oeuvre du centre
Simon-Wiesenthal, spécialisé dans l’anti-sémitisme, qui a lancé
une grande campagne de délation aide à l'identification des personnes ayant participé de près ou de loin à l’Holocauste. Avec une récompense de 25 000 euros à la clef. Une grand tante vous casse les pieds? Allez, hop, on la balance comme ancienne dame pipi à Auschwitz; ça lui apprendra a être plus généreuse à Noël, tiens !
Lâcher cette petite bombe en pleine période électorale n'est pas anodin et montre comment ce fantôme du passé est encore intimement lié aux décisions politiques allemandes, mais aussi à la mentalité de tout une société. Quatre-vingt après sa prise de pouvoir, Hitler continue d'hanter la vie de nos voisins d'Outre-Rhin, si bien que, si les Allemands sont si soucieux de ne pas faire de vagues sur des sujets comme l'immigration, l'homosexualité ou la séparation de l'Eglise et de l'Etat, c'est que la société allemande n'est jamais arrivée à passer le trauma de leur Sonderweg.
S., une amie franco-allemande, me racontait son enfance dans une école près de Cologne, et j'ai été sidérée de voir comme l
es écoles allemandes enseignaient la culpabilité dès le plus jeune âge "La première sortie scolaire a eu lieu dans un camp de concentration - à 5 ans ! Mes cousins français me racontaient leurs sorties au Parc Astérix, à la mer et au ski ! Ca avait l'air plus sympa d'être Français ! Et tout au long de ma scolarité, j'ai eu l'impression que le seul fait marquant de l'Histoire de mon pays, c'était l'extermination de 6 millions de gens. C'est en grandissant, et notamment en allant étudier en France, que j'ai vu que ma culture, c'était bien plus que ça."
La Seconde Guerre Mondiale exerce un charisme - négatif, certes, mais quand même un charisme - absolument hallucinant, rejetant Goethe, Bismark, Bach & compagnie au rang d'acteurs de second plan. Avouez que le mot "Hitler" est une des raisons pour lesquelles vous avez cliqué sur l'article ! Et vous comprenez quand je parle de charisme. Contrairement à ce qu'on aurait pu espérer, la disparition de la génération "nazie" n'a pas mis fin à cette obsession. Il n'y a eu qu'à voir la fréquentation du Deutsches Museum en 2010 et 2011 lors de son exposition sur Hitler et les Allemands, la première à parler du charisme d'Hitler et de l'engouement des Allemands pour le Führer : plus de 250 000 visiteurs en quatre mois, soit 3 fois plus qu'une expo "normale" temporaire. Les Allemands ont toujours besoin de comprendre. La question de la Shoah et de la responsabilité politique de l'ascension d'Hitler au pouvoir est une véritable obsession, et qui ressort au grès des campagnes électorales ou des événements politiques.
Berlin, d'ailleurs, la vend très bien aux touristes, la Seconde Guerre Mondiale, et certains d'entre eux ne trouvent rien d'étrange à demander où est-ce qu'ils peuvent
"voir la Seconde Guerre Mondiale à Berlin". A Berlin, l'Histoire est en train de tourner au Disneyland malsain (j'en parlerai dans un article, un jour, de ce Disneyland de l'Histoire qu'est en train de devenir Berlin)
Nos sous (oui, je dis "nos", parce que je paye mes impôts en Allemagne)
ne seraient-ils pas mieux utilisés à créer le futur de nos enfants au lieu de courir après une bande de petit vieux qui va de toute façon bientôt mourir? A être investi dans des programmes luttant contre la discrimination et facilitant l'intégration en général? Sans fixette sur ces groupes qui ont été massacrés pendant la Seconde Guerre Mondiale, mais en élargissant cela à tous les type de discrimination? A interdire les partis d'extrême-extrême droite? A être investi dans les systèmes d'intégration des étrangers, des handicapés, des trasexuels itoutikanti? A renforcer les politiques de prévention?
Bref, à servir à des causes pour le bien général et non pour la conscience politique des années 30?
Attention, je ne parle pas d'oublier les horreurs des camps de concentration et de la dictature nazie ou d'ignorer le sort des victimes. Loin de là ! Mais dans tout traumatisme, il y a un moment où il faut comprendre que la vie continue. Je crois que ce temps est plus qu'arrivé en Allemagne. Pour qu'enfin le fantôme de la Seconde Guerre arrête d'hanter toutes les décisions prises (et surtout non-prises) et que les Allemands s'occupent de créer Demain au lieu de ressasser Hi(tl)er.
Allez, je vous laisse sur cette réflexion estivale très gaie. Ce sera la seule que je m'autoriserais cet
été, et franchement, avec cette chaleur, c'est plus du courage, c'est de l'abnégation. Je retourne discuter jardin bio avec mes p'tits Allemands.